Vers "une privatisation rampante de la securité sociale ?"

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

La France est à la veille d’une "réforme gravissime, l’une des plus lourdes depuis la Libération" (par médiapart).

"La France est à la veille d’une réforme gravissime, l’une des plus lourdes depuis la Libération : à petits pas, sans le dire, Nicolas Sarkozy prépare une privatisation rampante de la Sécurité sociale".
(Par Mediapart) .

"C’est à la faveur du dossier de la dépendance, présenté comme le grand chantier présidentiel de l’année 2011, que les premiers coups de boutoir seront donnés contre ce système clef de l’Etat providence que les Français perçoivent à juste titre comme leur premier et principal acquis social, le pivot essentiel de notre modèle social.


Rien n’est dit publiquement. Dans toutes ses déclarations officielles, Nicolas Sarkozy jure même de son attachement à la Sécurité sociale, qui, depuis sa fondation en 1945, repose sur le système de la répartition, c’est-à-dire sur un système collectif et solidaire, tournant le dos au système de l’assurance privée individuelle. Depuis des lustres, le lobby très puissant des assureurs privés rêve de mettre à bas ce système. Et pour la première fois, un gouvernement, celui de François Fillon, s’apprête à accéder à ses demandes.

Le premier à sonner la charge a été Claude Bébéar, le fondateur du groupe d’assurance Axa, qui, dès 1996, avait sommé le gouvernement d’Alain Juppé d’avancer vers des « sécurités sociales privées », en émettant la recommandation que ce système fonctionne au « premier franc ». « Autant dire, tuer la Sécurité sociale », commentait à l’époque L’Express.
Puis, il y a eu un deuxième assaut, celui de Denis Kessler (ancien numéro deux du patronat, ancien président de la Fédération française des sociétés d’assurance et actuel président de la Scor, un géant de la réassurance) qui, dans une déclaration tonitruante au magazine Challenges, le 4 octobre 2007, avait estimé que la politique économique de Nicolas Sarkozy était moins brouillonne qu’on pouvait le penser : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Et enfin, il y a eu un troisième assaut, plus récent celui-là, le 9 mai 2010, celui d’Alain Minc, qui a suggéré, avec la morgue qu’on lui connaît (voir la vidéo ci-contre), que les personnes âgées coûtaient trop cher à la collectivité et qu’il fallait trouver de nouvelles sources de financement. Une sortie qui a beaucoup choqué dans le pays, et dont on n’a pas bien compris à l’époque qu’elle était prémonitoire.

Mais, avant d’aller plus avant, arrêtons-nous un moment sur la sortie de Denis Kessler, partisan de remettre en cause le programme du CNR. Car tout est là ! L’une des mesures phare de ce célèbre programme (on peut le consulter ici), diffusé à l’époque dans le sud de la France sous le titre Les Jours heureux, est d’instaurer « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ». Et c’est pour respecter cet engagement que dès le 4 octobre 1945 une ordonnance est prise dont l’article 1 est le suivant : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. »

Pressant à l’automne 2007 Nicolas Sarkozy de tourner le dos à cet héritage, Denis Kessler a certes été un peu vite en affaire, car dans les mois suivants, le chef de l’Etat n’a pas exaucé son souhait. Mais le chef de file du lobby des assureurs privés ne s’est trompé que sur le calendrier. Car c’est bel et bien en ce sens que le gouvernement compte désormais avancer. Et c’est le difficile dossier de la dépendance qui va lui en fournir le prétexte. Décryptons en effet les déclarations de ces derniers jours.

Le premier à s’être exprimé sur le sujet est Nicolas Sarkozy. C’est lui, lors de son récent entretien télévisé, le 16 novembre, qui a indiqué que le dossier de la dépendance serait le grand chantier de 2011. Et en apparence, il en a parlé dans des termes qui ne justifient aucune inquiétude. Indiquant que la réforme gouvernementale serait introduite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale débattue à l’automne 2011 au Parlement et qu’elle serait précédée d’une grande consultation s’étalant sur six mois, il a en apparence été fidèle à cette tradition qu’incarne la Sécurité sociale.

Rappelant qu’en 2040, la population des plus de 60 ans aura progressé de +30% voire +50%, le président de la République a évoqué la nécessité d’aboutir à un « système juste et équitable » pour qu’une personne âgée où « qu’elle se trouve sur le territoire puisse vivre dignement chez elle ou dans une maison (...) Nous réglerons la question de la dépendance (...) et apporterons une réponse à l’angoisse des gens ». Que redire à cela ? 

Soulignant qu’il « y a 250.000 personnes de plus par an victimes d’Alzheimer » en France, il a ajouté que son ambition était de résoudre la « question de la place des personnes âgées dans la société », « la question de la dignité des vieux, d’une population dont la vieillesse augmente, et d’enfants qui sont totalement démunis » face à la dépendance de leurs parents âgés.

Mieux que cela ! Le chef de l’Etat a aussi apporté cette précision, qui peut sembler lever les ultimes inquiétudes : cette réforme devra déboucher sur la création à l’automne prochain « d’un nouveau risque, une nouvelle branche de la Sécurité sociale », la dépendance, aux côtés des quatre branches actuelles que sont la maladie, la famille, la retraite et les accidents du travail. En clair, le propos suggérait que ce nouveau risque, qui va exploser dans les années futures, ne sera pas le prétexte à un contournement de la Sécurité sociale. « Je souhaite la création, pour la première fois depuis la Libération, d’un nouveau risque, d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale : le Cinquième Risque », a dit Nicolas Sarkozy.

Seulement voilà ! Après ces propos rassurants, le chef de l’Etat a aussi glissé, comme si de rien n’était, d’autres remarques qui n’ont guère fait de bruit. Cela a été dit habilement, sous la forme de questions. Mais cela mérite tout de même un détour.

Une protection sociale généreuse pour les riches, réduite pour les pauvres

Soulignant qu’il « y a 250.000 personnes de plus par an victimes d’Alzheimer » en France, il a ajouté que son ambition était de résoudre la « question de la place des personnes âgées dans la société », « la question de la dignité des vieux, d’une population dont la vieillesse augmente, et d’enfants qui sont totalement démunis » face à la dépendance de leurs parents âgés.

Mieux que cela ! Le chef de l’Etat a aussi apporté cette précision, qui peut sembler lever les ultimes inquiétudes : cette réforme devra déboucher sur la création à l’automne prochain « d’un nouveau risque, une nouvelle branche de la Sécurité sociale », la dépendance, aux côtés des quatre branches actuelles que sont la maladie, la famille, la retraite et les accidents du travail. En clair, le propos suggérait que ce nouveau risque, qui va exploser dans les années futures, ne sera pas le prétexte à un contournement de la Sécurité sociale. « Je souhaite la création, pour la première fois depuis la Libération, d’un nouveau risque, d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale : le Cinquième Risque », a dit Nicolas Sarkozy.

Seulement voilà ! Après ces propos rassurants, le chef de l’Etat a aussi glissé, comme si de rien n’était, d’autres remarques qui n’ont guère fait de bruit. Cela a été dit habilement, sous la forme de questions. Mais cela mérite tout de même attention. « Faut-il faire un système assurantiel ? Obliger les gens à s’assurer ? Faut-il augmenter la CSG ?
Faut-il avoir recours à la succession quand les enfants n’ont pas la volonté ou pas les moyens ? »

L’air de rien, au milieu d’autres pistes, Nicolas Sarkozy pose donc la question : « Faut-il faire un système assurantiel ? » En clair, faut-il sortir de la Sécurité sociale pour faire couvrir ce risque par les assureurs privés ? Le chef de l’Etat n’a pas répondu à ses propres questions ; il a juste suggéré que toutes les pistes étaient ouvertes.

Mais en fait, on va vite voir que ces interrogations présidentielles sont au cœur des éléments de langage, si l’on peut dire, que l’exécutif a mis au point pour préparer les esprits à une privatisation rampante de la Sécurité sociale.

Ecoutons en effet ce que dit, quelques jours plus tard, le 24 novembre, François Fillon, lorsqu’il prononce devant l’Assemblée nationale sa déclaration de politique générale (que l’on peut lire ici dans sa version intégrale) : « Avec l’emploi, la sauvegarde et la modernisation de notre système de protection sociale s’imposent à nous. Nous avons commencé avec la réforme des retraites. Avec Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot, nous allons poursuivre. Nous ne devons pas laisser dériver les comptes de l’assurance maladie par démagogie. Nous ne pouvons pas esquiver sur cette question notre responsabilité collective. Nous lancerons une concertation nationale sur la protection sociale qui associera tous les acteurs, les partenaires sociaux, les professionnels de santé, les mutuelles, les assurances, les collectivités territoriales, au premier rang d’entre elles les conseils généraux. »


Et il ajoute : « Cette concertation nationale aura évidemment pour but immédiat de traiter la question de la dépendance. Le coût est estimé à 22 milliards d’euros et il devrait atteindre les 30 milliards dans les prochaines années. Le nombre des plus de 75 ans devrait doubler au cours des prochaines décennies. Il s’agira en premier lieu de déterminer les besoins réels des personnes, d’examiner comment assurer le maintien à domicile des personnes âgées le plus longtemps possible. Il faudra ensuite sérier les pistes de financement : assurance obligatoire ou facultative, collective ou individuelle ? »

Il faut donc là encore soupeser chaque mot. Car en posant des questions similaires à celles du chef de l’Etat – « assurance obligatoire ou facultative, collective ou individuelle ? » –, François Fillon casse un tabou : il prépare, lui aussi, les esprits à ce que la Sécurité sociale ne soit plus le bouclier naturel qui protège les Français d’un risque majeur, avec ses sources de financements habituelles (cotisations sociales ou CSG), et à ce que les assureurs privés puissent mettre la main sur cet alléchant et gigantesque marché. En clair, en avant vers un système de protection sociale à deux vitesses, avec un système de protection étendue ouvert aux plus riches qui auront les moyens de s’assurer ; et un système pour les plus pauvres régi par la solidarité, mais ne couvrant plus tous les risques ! Autrement dit, les vieux riches seront protégés, mais pas les vieux pauvres !"

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