Plan de rigueur : effets de manche et injustices
Plan de rigueur : effets de manche et injustices
Par Denis Clerc
Article Web - 14 novembre 2011
Et hop : François Fillon a sorti de son chapeau 7 milliards d’euros d’économies ou de recettes supplémentaires pour réduire le déficit public et séduire les agences de notation. Pouvait-on faire autrement ? Même si bon nombre d’économistes dont je partage habituellement largement les analyses le pensent, franchement, j’en doute, tant la zone euro semble fragile. Certes, ce plan de rigueur est à destination des agences de notation et il vise autant, sinon davantage, à rassurer les marchés financiers, fût-ce au détriment de l’activité économique, qu’à rétablir les équilibres économiques fondamentaux du pays. Mais je ne sais comment il aurait été possible d’éviter cela sans prendre des risques inconsidérés. Il n’est malheureusement pas en notre pouvoir de faire taire les agences de notation ni d’éliminer les marchés financiers et leur inclination aux spéculations.
Aussi n’est-ce pas sur le bien-fondé d’un tel plan de rigueur que s’est portée mon attention, mais sur son contenu. Sur les huit grands axes indiqués par le Premier ministre, trois sont de purs produits de communication, largement destinés à l’affichage : ils n’auraient pas été mentionnés que cela n’aurait rien changé ou presque. Le clinquant de ces mesurettes masque mal leur vacuité :
- Réduction des niches fiscales : il s’agit de trois mesures dont l’effet ne commencera à jouer qu’en 2013 et qui, par conséquent, laissent intacts pour l’année qui vient les avantages fiscaux accordés. Il s’agit tout d’abord de la niche « Scellier » qui permet aux contribuables achetant des appartements destinés à la location de déduire une partie de l’investissement de leur impôt, donc de se constituer un patrimoine sur le dos du fisc. Coût pour la collectivité en 2012 : 650 millions d’euros. Il fallait être aveugle pour ne pas ne pas voir les appels à ne plus payer d’impôts que les sociétés spécialisées dans ce type de placements ont multipliés dans la presse ces temps-ci, puisque, de toute façon, il avait été déjà décidé de supprimer cet avantage fiscal, mais fin 2015. Cela change donc un peu la donne, mais pas fondamentalement, puisque les investisseurs vont sans doute pour une large part se contenter d’avancer leur calendrier d’investissement. Il s’agit ensuite du « recadrage » du prêt à taux zéro (PTZ) pour les accédants à la propriété immobilière, qui sera réservé aux seuls achats dans le neuf. Le montant du PTZ a explosé en 2011 (coût fiscal : 1,38 milliards contre 0,92 en 2010), parce qu’il était devenu accessible à tous, alors qu’il était précédemment ciblé sur les seuls ménages à faibles revenus. Enfin, le crédit d’impôt « développement durable » en faveur de ceux qui effectuent des travaux d’économie d’énergie sera réduit de 20 %. Il a coûté à la collectivité 2,6 milliards en 2010, 2 milliards en 2011 et il était déjà prévu qu’il ne coûte plus que 1,4 milliard en 2012.Ces trois mesures n’apporteront aucune économie en 2012 (mais devraient permettre d’économiser 1 milliard en 2013).
- Hausse exceptionnelle de 5 points de l’impôt sur le bénéfice des sociétés que devront acquitter les 20 000 entreprises réalisant plus de 250 millions de chiffre d’affaires. Or ce sont justement ces grandes entreprises qui, aujourd’hui, payent le moins d’impôt sur leurs bénéfices (environ 20 % au lieu des 33 % théoriques), notamment grâce aux domiciliations de certaines de leurs filiales dans des paradis fiscaux, et grâce à des niches fiscales spécifiques (le crédit impôt recherche, par exemple, qui permet aux entreprises de réduire leur facture fiscale de 5 milliards). Faire passer le taux de l’impôt de 20 à 25 % pour ces grandes entreprises devrait permettre de rapporter environ 1,1 milliard d’euros. Mais, en même temps, les banques et les sociétés financières vont voir se réduire sensiblement l’impôt sur leurs bénéfices - de l’ordre de 1,2 milliards - en raison des « provisions » que la décote de 50 % sur les titres d’emprunts grecs qu’elles détiennent va les amener à constituer : or ces provisions sont déductibles de l’impôt. Au total, la « surtaxe exceptionnelle » devrait seulement permettre de maintenir le produit total de l’impôt sur les bénéfices.
- Hausse de 19 à 24 % du prélèvement forfaitaire libératoire sur les revenus financiers : théoriquement, faire progresser ce prélèvement libératoire de 5 points devrait rapporter 1,5 milliards, en plus des 5,5 milliards qu’il a rapportés en 2011. Mais cela ne rapportera que 0,6 milliards, car seuls les ménages imposés dans la dernière tranche de revenus (à 41 %) seront touchés, les autres ayant intérêt désormais à renoncer au prélèvement forfaitaire et à intégrer leurs revenus financiers dans leur déclaration de revenus. En outre, les exceptions demeureront nombreuses, notamment celles concernant les PEA (plans d’épargne en action) dont les revenus seront toujours exonérés de tout impôt. Un assez bel effet de manche par conséquent.
Maintenant, venons-en aux choses sérieuses. Car les trois mesurettes détaillées ci-dessus vont peser au plus 0,65 milliard sur les 7 annoncés. Alors d’où vient le reste ?
Le gros bataillon, ce sera l’instauration d’un taux de TVA à 7 % au lieu de 5,5 % notamment pour la restauration, la rénovation des logements (et la construction des logements sociaux) et les produits culturels. Là, ce sont 1,8 milliards qui vont être ponctionnés dans les poches de ceux qui effectuent des dépenses. Faut-il s’en lamenter ? Cela majorera de 1,5 % la note actuelle acquittée par les acheteurs de ces services, soit une progression trop faible pour avoir un effet « volume » dépressif (sauf peut-être pour les produits culturels, qui subissent déjà une baisse sensible de la demande). En revanche, dans le bâtiment, cela risque de freiner un peu plus la construction ou la rénovation (notamment thermique) des logements sociaux, d’inciter davantage au travail dissimulé et de décourager les investissements d’économies d’énergie des particuliers, car cela s’ajoutera à la réduction de la niche fiscale « développement durable » mentionnée plus haut. Le Premier ministre justifie cette hausse en soutenant que la TVA taxe aussi les importations et que l’étranger sera donc également mis à contribution. L’argument est étrange s’agissant d’activités peu génératrices d’importations. Personnellement, j’aurais préféré que l’on conserve l’avantage fiscal pour les rénovations thermiques, quitte à compenser par une suppression de l’exonération fiscale dont bénéficient actuellement certains livrets d’épargne, notamment les livrets A. Evidemment, je vais me faire traiter de tous les noms pour m’attaquer ainsi à l’épargne « populaire ». Sauf que cette épargne n’a rien de populaire : pour 15 millions d’épargnants qui disposent d’un livret A contenant moins de 500 euros, on compte 2 millions d’épargnants ayant le maximum (15 000 euros), et je suis prêt à parier ma cravate contre rien du tout que la quasi-totalité de ces épargnants-ci (à 15 000 euros) font partie du dixième le plus favorisé de la population. Il y a des exemptions fiscales qui aident surtout les riches, même s’ils se cachent derrière les pauvres pour faire croire le contraire.
Le deuxième gros bataillon concerne le gel du barème actuel de l’impôt sur le revenu tant que le déficit public sera supérieur à 3 % (donc sans doute en 2013 également. En 2012, l’impôt sur le revenu sera donc calculé sur un revenu imposable accru de 2,3 % (montant vraisemblable de l’inflation enregistrée en 2011) de plus que cela n’aurait été le cas si le barème avait été relevé du montant de l’inflation. Rendement : 1,7 milliards en 2012 (dont 0,04 au titre de l’ISF alors que la réforme d’avril 2011 va permettre de réduire ce dernier de 0,9 milliard). Toutefois, cette mesure ne touchera pas (ou seulement de manière très marginale pour ceux qui étaient juste au seuil d’imposition) la moitié la plus modeste de la population, qui n’est pas imposable sur le revenu, et elle touchera essentiellement le dixième le plus favorisé, qui acquitte actuellement les deux tiers de l’impôt sur le revenu.
Troisième gros bataillon : la compression des dépenses publiques, pour 1,2 milliard. On a beaucoup mis en avant le gel des salaires des Président, ministres et secrétaires d’Etat. La mesure est totalement symbolique puisqu’elle ne provoquera aucune économie : ces salaires sont indexés sur la valeur du point d’indice dans la Fonction publique, lequel est gelé pour 2012 (comme il l’avait été en 2011). Et n’oublions pas que le salaire du Président avait été augmenté de 140 % en 2008). Alors, d’où viennent ces 1,2 milliards ? Pour moitié d’une réduction des crédits des différents Ministères, et pour moitié d’une compression des dépenses d’assurance maladie. Celle-ci se réalisera-t-elle sur le dos des professionnels de santé, des laboratoires pharmaceutiques, des hôpitaux ou des assurés sociaux ? Agira-t-on sur la demande, au risque de voir certains ne plus recourir aux soins, ou sur l’offre ? Impossible d’en savoir plus pour l’instant, car, évidemment, les différents groupes de pression potentiellement concernés sont à la manœuvre.
La désindexation partielle des prestations sociales (prestations familiales et prestations logement principalement) va représenter le quatrième gros bataillon : elles seront revalorisées de 1 % alors que l’inflation enregistrée en 2011 sera sans doute de 2,3 % et sans doute un peu plus en 2012. Or cette perte de pouvoir d’achat, d’environ 0,4 milliard (et 0,5 les années suivantes) , va toucher essentiellement (pour les deux tiers) les familles les plus populaires, les seules qui aient droit à des prestations sous condition de ressources comme l’allocation de rentrée scolaire ou les bourses. Il y a quelque chose de scandaleux dans le fait que l’on ait monté en épingle un prélèvement exceptionnel de 200 millions sur les plus aisés (cela faisait partie du premier plan de rigueur) et que l’on fasse peser sur le quart le plus défavorisé des familles une ponction de pouvoir d’achat deux fois plus forte et qui subsistera les deux années suivantes (contrairement au prélèvement exceptionnel).
Enfin, bien qu’il s’agisse d’une mesure qui, en 2012, ne permettra d’économiser que 0,2 milliard, le plus scandaleux est certainement l’avancement au pas de charge des 62 ans comme âge légal de la retraite. Car les années suivantes s’y ajouteront au total 4,2 milliards, entièrement supportés par quatre générations (nées entre 1952 et 1955 inclus) qui devront chaque année travailler cinq mois de plus que la précédente avant de pouvoir percevoir leur retraite, alors que la réforme de juillet dernier prévoyait un accroissement annuel de quatre mois, ce qui était déjà beaucoup (en Allemagne et aux Pays-Bas, l’accroissement est de 2 mois). Ce qui reviendra à imposer aux futurs retraités nés durant cette période une ponction moyenne de 1500 euros (moins pour ceux nés en 1952-1953, davantage pour ceux nés les deux dernières années visées). Un sommet d’injustice car, au lieu de répartir les efforts sur tous, ou sur ceux qui ont le plus de moyens, on les concentre ainsi sur ces futurs retraités, dont une partie a du subir ou subira l’épreuve du chômage et des emplois précaires. Alors que les actuels retraités bénéficient d’un taux de CSG amoindri et d’une déduction de 10 % de leur revenu imposable pour « frais professionnels » … . Si l’un ou l’autre, voire les deux, de ces avantages avaient été supprimés pour la moitié la plus favorisée des actuels retraités, on aurait évité cette double peine qui frappe quatre classes d’âge. Il y aurait eu ainsi solidarité entre les retraités à venir et les actuels, entre les jeunes et les vieux pour résumer à gros traits, alors que les premiers portent l’essentiel des ajustements, tandis que les seconds n’en portent rien.
Une conclusion ? Oui, une seule : à supposer qu’il faille un deuxième plan de rigueur, je constate qu’il pèse largement sur la moitié la plus démunie de la population, alors que les favorisés du sort - dont je fais partie - échappent largement au couperet, tout en réussissant à donner le change à l’aide de mesurettes sans poids. Cela me révolte, Monsieur Fillon.