Nanotechnologies : ou en sommes nous ?

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

En matière de science et démocratie, peu de journalistes ont à coeur de traiter sérieusement et courageusement les enjeux sociétaux et politiques inévitablement soulevés par des thématiques complexes telles que les nanotechnologies.
Drothée Benoit Browaeys (//www.vivagora.org/)est de ceux là. voici la fiche technique


En matière de science et démocratie, peu de journalistes ont à coeur de traiter sérieusement et courageusement les enjeux sociétaux et politiques inévitablement soulevés par des thématiques complexes telles que les nanotechnologies.
Drothée Benoit Browaeys
(//www.vivagora.org/)est de ceux là. voici la fiche technique


Fiche de problématique : la déclaration obligatoire des nanoproduits et le décret d’application issu de la loi Grenelle.

1- Retour sur une mise en place difficile et incomplète

En septembre 2008, à la demande du ministre Luc Châtel, un groupe dédié aux nanotechnologies à
été mis en place au sein du Conseil national de la consommation (CNC) Ce groupe tripartite (associant
industriels, pouvoirs publics et représentants des consommateurs), s’est réuni une douzaine de fois afin
de produire un avis « sur l’information des consommateurs sur la présence de nanomatériaux dans les
produits de consommation ». Ce dernier fut finalisé au mois de juin 2010 et recommandait que « la présence
d’un ou plusieurs nanomatériaux dans un produit de consommation doit être portée à la connaissance du
consommateur ». Il prônait également la mention de la forme « nano » à côté de l’ingrédient concerné sur les
étiquetages, à l’instar du Règlement Cosmétiques (CE) n°1223/2009 ainsi qu’une procédure de notification
obligatoire, pour que « les pouvoirs publics disposent de données fiables ».

Par ailleurs, l’Etat s’est engagé avec la loi Grenelle du 12 juillet 2010 à mettre en place un suivi des
nanomatériaux par le biais d’une « déclaration obligatoire périodique » de la fabrication, de l’importation
ou de la distribution de « substances à l’état nanoparticulaire », ou de « matériaux destinés à rejeter de telles
substances » (articles L523 1à3 du code de l’environnement) ainsi qu’une information des consommateurs et
une gouvernance des nanotechnologies.

Un premier projet de décret d’application relatif à la Déclaration annuelle des produits contenant des
substances à l’état nanoparticulaire mis sur le marché, a néanmoins été soumis à consultation du public
du 05 janvier au 28 février 2011. VivAgora a à cette occasion alerté les pouvoirs publics sur certaines
insuffisances du texte qui maintient des incertitudes rendant aléatoires les démarches des opérateurs
(producteurs, importateurs, utilisateurs).

Un second projet de décret amendé, daté du 28 mars 2010, a été soumis à une consultation restreinte.
Seuls les avis écrits des organisations ayant répondu à la première consultation publique ont été sollicités
par le ministère. Les deux principaux changements de cette seconde mouture concernent la simplification de
la définition de « substance à l’état nanoparticulaire » et le durcissement de la sanction en cas de non-respect
de l’obligation légale.

2- Contenu du décret : Qui, Quoi, Comment ?1

a- Les personnes concernées par le décret
Les fabricants, importateurs et distributeurs d’au moins 100 grammes par an de l’une des substances
définies par le décret.

b - Les substances visées par le décret

La question de la définition est un enjeu majeur dans le contexte de complexité et d’incertitudes scientifiques
qu’est celui des nanotechnologies. Le texte parle de « substance à l’état nanoparticulaire ». L’article R-
523-12 précise : « substance au sens du règlement (CE) n°1907/2006 fabriquée intentionnellement et se
caractérisant par une ou plusieurs dimensions externes, ou une structure interne, sur une échelle de 1 à
100 nm, y compris sous forme d’agrégats et d’agglomérats qui peuvent avoir une taille supérieure à 100 nm

Les informations reprises ici s’appuient sur la seconde version du décret publié sur le site de la société française de métallurgie
et des matériaux(sf2m) : http://www.sf2m.asso.fr/commissionsthematiques/DocComThematiques/DecretNano.pdf, ainsi que sur
un article de Rémy Nouailhac paru sur le site de Lettre des juristes de l’Environnement (http://www.juristes-environnement.com/
article_detail.php ?id=463)
mais qui conservent les propriétés typiques de l’échelle nanométrique. » Est concernée également toute
substance à l’état nanoparticulaire « incorporée intentionnellement dans un mélange dont elle est susceptible
d’être extraite ou rejetée dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation. »

La discussion autour de cette définition technique renvoie à trois problèmes qui témoignent de l’état actuel
d’incertitudes scientifiques autour des nanotechnologies :

Il n’existe en effet à l’heure actuelle aucune définition homogène, au plan scientifique et à plus fortes
raisons au plan administratif, de ces objets « nanos ».

un équilibre est à trouver entre une définition liée à la taille des objets d’une part (< 100 nanomètres),
et leurs propriétés d’autre part (propriétés modifiées à une échelle suffisamment petite).

- Le projet de décret renvoie à une définition européenne et s’inspire notamment du règlement
REACH. Or, les institutions européennes peinent à trouver un consensus entre les différentes DG,
ce qui retarde l’officialisation d’une définition pouvant servir de base de référence stable. Après une
consultation publique fin 2010 qui a recueillies plus de 200 réponses d’industriels, d’académiques,
d’associations et de citoyens, la Commission a en effet annoncé fin mars 2011 lors de la quatrième
conférence internationale « Nano Safety for Success Dialogue », qu’aucune définition ne serait
établie avant plusieurs mois.

c - Les obligations que pose le décret

- Déclarer chaque année les quantités produites et l’identité des utilisateurs professionnels
Chaque année avant le 1er mai, les personnes concernées devront transmettre à l’autorité compétente une
déclaration contenant les quantités et les usages des substances produites, importées ou distribuées au
cours de l’année civile précédente, ainsi que l’identité des utilisateurs professionnels à qui elles auront été
cédées à titre onéreux ou gratuit.

- Communiquer à l’administration les informations relatives aux risques
A la demande de l’autorité administrative, devront être transmises :

1- toutes les informations disponibles relatives aux dangers des substances nanoparticulaires et aux
expositions auxquelles elles sont susceptibles de conduire.

toutes les informations utiles à l’évaluation des risques sur la santé et l’environnement.

d- Les sanctions pénales et administratives que pose le décret
Un risque de « nano amende »

« Article R. 523-15 :« Si la déclaration visée aux articles R. 523-13 et R. 523-14 est incomplète, l’Anses
demande au déclarant de la compléter ou d’apporter les précisions nécessaires dans un délai qu’il lui fixe. »

Le défaut de transmission dans les délais de la déclaration ou des informations complémentaires est une
contravention de la 5e classe, et punie à ce titre d’une peine d’amende maximale de 1500 €.

Des sanctions administratives

« Article R. 523-20 :« En cas de non-respect des obligations prévues au présent chapitre, le ministre chargé
de l’environnement peut ordonner le paiement d’une amende au plus égale à 1500 euros et une astreinte
journalière de 150 euros courant à partir de la décision la fixant et jusqu’à la satisfaction de l’obligation. »

Les deux types de sanctions sont cumulables (administratives+ pénales) mais le montant global des
sanctions ne peut pas dépasser le montant le plus élevées de l’une des sanctions encourues selon la
jurisprudence. (Conseil constitutionnel, 28 juil. 1989, n° 89-260 DC)

3- Pointer les avantages et limites du décret

a- Les avantages du décret

Tous les domaines usant de substances nanoparticulaires sans exception sont concernés par cette
déclaration obligatoire. En outre, la collecte d’informations sur les risques est un élément majeur en termes
de santé et d’environnement, même si elle n’est pas obligatoire à l’heure actuelle mais seulement sur
demande des autorités administratives.

b- Les limites du décret

Quatre lacunes ont été pointées dans la contribution réalisée par VivAgora au décret d’application :

N’était pas désigné dans la première version l’organisme chargé de collecter les données relatives
aux substances à l’état nanoparticulaire de les gérer et de les mettre à disposition du public.
Il
faudra donc que les ministres de l’environnement, de l’agriculture, de la santé et du travail désignent
par arrêté, dans un délai inconnu, l’organisme collecteur pour que les opérateurs commencent à
transmettre leurs informations. Pendant ce temps, les nanoproduits continueront d’arriver sur le
marché sans être déclarés.

Le décret stipule de larges dérogations à la déclaration obligatoire des nanosubstances, notamment
le secret de nature industrielle ou commerciale.

La prévention des non-déclarations est peu crédible, puisque les amendes prévues sont dérisoires.

Les « substances à l’état nanoparticulaire » visées par le décret d’application ont une définition trop
large et mouvante, en référence à celle de la Commission européenne. De ce fait, l’efficacité de la
procédure de déclaration risque d’être faible ou partielle.

Alors que le Conseil national de la consommation (CNC) exhortait, le 16 juin 2010, les pouvoirs publics
à mettre en place une « structure de concertation permanente au sein du CNC pour surveiller les projets
européens et internationaux, et l’évolution de l’introduction des nanomatériaux dans les produits de
consommation », aucun projet en ce sens n’a été amorcé. La France pourrait prendre exemple sur le
ministère allemand de l’industrie, qui publie un inventaire des producteurs, utilisateurs et laboratoires de
recherche manipulant des nanoparticules (avec leur localisation).