Violences urbaines
VIOLENCES URBAINES : CONTRIBUTION AU DEBAT
VIOLENCES URBAINES : CONTRIBUTION AU DEBAT *
(article de M.O. Novelli paru dans le courrier de l’hebdomadaire Alternatives Economiques, Decembre 05).
La révolte délinquante d’une partie des jeunes des banlieues francaises est évidemment condamnable. Elle est tout aussi nuisible pour leurs proches, pour leurs voisins que pour eux-memes. Nous devons cependant chercher à comprendre, sans excuser. Cette crise est avant tout sociale et ne peut être analysée comme une simple consequence des revoltes individuelles de l’adolescence.
Dans une situation générale d’injustice, il a suffit d’une etincelle : une violence verbale -les propos injurieux de N. Sarkozy- ajoutée àla mort non élucidée de deux jeunes, pour mettre le feu dans les cités. . .
Pendant plus d’une semaine le gouvernement a été muet. Puis soudain, il a eu recours à l’état d’urgence. Ce faisant, il estimait rétablir l’ordre social. Mais Il ne retablissait pas la cohesion sociale, désignant ainsi à la majorite des francais comme bouc-émissaire une partie de la France elle-même.
Peut-on dire que les violences résultent de l’action du gouvernement ?
Pendant trois ans, le gouvernement a surtout apporté aux problemes sociaux des reponses d’ordre penal ou spatial. Il a réorienté la politique de la ville autour de la répression et les démolitions-reconstructions. Il a drastiquement réduit ou abandonné le rattrapage social ou educatif, la prévention, la police de proximite, les Fonds du FASILD (pour l’integration), les emplois jeunes... bref tout ce qui contribue à l’insertion professionnelle et au lien social. Un certain nombre de ces suppressions ont des conséquences directes sur les jeunes, d’autres ont sur eux des effets indirects, agissant sur leur entourage, le tout créant le sentiment général qu’il n’y a pas d’avenir.
Le durcissement des réponses pénales n’est pas sans rappeler la période qui a précédé la révolution francaise, lorsque la monarchie offrait des reponses securitaires à courte vue aux problemes sociaux essentiels de la societé*.
Meme si l’on ne peut pas effectuer de parallèle historique, cette similitude souligne àmon sens la nécessité d’un changement en profondeur de la société francaise. Ce changement doit être social, éducatif, et institutionnel.
Les problèmes sont le fruit d’une evolution de fond de la societé.
Pendant "les 30 glorieuses", après guerre, il y avait un équilibre entre l’économique et le social. c’etait l’époque du plein emploi, du logement pour tous et "des lendemains toujours meilleurs", du moins le croyait-on, ce qui aidait à vivre. Le travail ne servait pas qu’à procurer un revenu décent, il jouait le rôle essentiel d’intégration, y compris par le biais des luttes syndicales.
A partir des annees 80, cet equilibre s’est rompu. Malgre la croissance, la solidarite a failli. La France n’a pas su la reajuster, à l’inverse de quelques (rares) pays du Nord de l’ Europe. Le néo-liberalisme s’est developpé avec son cortege de conséquences : aujourd’hui plus de 25% des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage, parfois plus de 40% de chômeurs dans certains quartiers. Il y a 3 millions de mal logés et les plus pauvres n’ont pas d’espoir de quitter leur quartier, devenu ghettos. "Les pauvres sont de plus en plus pauvres", comme l’atteste le rapport annuel du secours catholique. Les inégalites scolaires et sociales augmentent. Cette situation générale d’injustice constitue une dernière forme de violence sociale, la plus insidieuse.
Ces chiffres recouvrent une realite humaine dont il faut prendre la mesure et la gravite : c’est que, lorque vous êtes un adolescent, il vous faut une volonte énorme pour vous construire alors qu’autour de vous un grand nombre d’adultes de votre entourage est au chômage, que vous habitez dans un endroit ou personne ne veut vivre, qu’on vous demande vos papiers d’identite au pied de votre immeuble, que votre facon de vous habiller ou votre couleur de peau inspire la méfiance, que reussir votre vie s’evalue aux signes exterieurs de richesse, que votre perspective la plus simple pour gagner de l’argent n’est pas de travailler mais de participer a l’economie souterraine...
Certains parviennent à surmonter ces obstacles. La plupart est gagnee par le desespoir ou la haine.
La haine, le ressentiment, le rejet, à l’image de ce que l’on entend dans certains partis politiques extremistes, ou de celle qui est a l’oeuvre dans le refus d’un C.V. face a un nom à consonnance etrangere... A l’image, encore, de la decision du ministre d’expulser les jeunes impliques dans ces émeutes. (l’expulsion collective d’etrangers étant d’ailleurs contraire au droit international). qu’elle s’exprime dans les discours politiques ou dans les brimades de la vie quotidienne, cette haine ou ce rejet sont criminels contre la cohésion sociale. C’est une forme de guerre des francais contre les francais.
Heureusement, il y a une autre posture : celle de la construction, de l’espoir, celle qui considère que ces jeunes sont d’abord a eduquer avec exigence, et génerosite. Ils sont la société de demain.
Dans cet esprit, voici cinq axes de propositions :
1er axe, celui des sanctions : assurer la justice, réduire l’arbitraire
Les sénateurs Verts demandent la mise en place d’une enquete parlementaire sur les violences. j’y suis aussi favorable. Les violences des jeunes comme des policiers doivent etre traitées en toute justice. Le recours à l’etat d’urgence et à la loi de 1955, quant à lui, procede d’une theatralisation militaire, alors que nous ne sommes pas dans une situation de guerre, mais de crise sociale profonde. Le risque est que la procédure du couvre-feu occulte les problèmes de fond. Même en 1968, De Gaulle n’y avait pas eu recours...Par contre, l’intervention policière doit etre renforcee, mais aussi completée par la présence, dans la rue, de mediateurs. La où les mediateurs ont noue un dialogue réel, comme dans certains quartiers de la banlieue grenobloise et a Clichy, et maintiennent leur présence, les violences ont cessées.
Quant aux 100 millions accordés par le gouvernement aux associations de terrain, c’est certes positif... sauf que dans le meme temps, 310 millions d’euros pour le developpement social urbain ont ete supprimés au budget 2006.
2ieme axe : - Assurer la satisfaction des besoins élémentaires
Pour que ces jeunes en difficulte puissent se construire comme des adultes
responsables, il faut qu’ils puissent accéder aux conditions materielles minimales de l’autonomie : un travail et un logement.
Ce sont des priorités de la Region Rhone Alpes, qui a mis en place un plan pour l’emploi, et une politique fonciere et de l’habitat, pour aider les communes, agglomerations et departements volontaires a faire du logement social. Mais le probleme est loin d’etre resolu. Les communes sont loin de remplir toutes leurs obligations en matière de logement social, et l’ Etat, qui applique les decisions du gouvernement, est particulièrement timoré sur ces questions. Il faut que le droit au logement devienne un vrai droit, opposable. Il en va de même pour le droit au travail, (ou à défaut, le droit à un revenu décent et à une activite sociale).
3ieme axe : Donner sa chance à chacun, développer les potentialités
Pour atteindre cet objectif, il faut continuer et accentuer la lutte contre toutes les discriminations, et développer l’education par le systeme scolaire, mais aussi l’eéucation populaire, l’éducation tout au long de la vie (en ce sens le rabaissement de l’age de l’apprentissage à 14 ans est une mauvaise solution), et la lutte contre le décrochage scolaire....
Il faut resolument sortir d’une logique de selection-exclusion, et décider de mettre l’accent les potentialites des jeunes. C’est d’ une vraie révolution éducative dont nous avons besoin, encouragée par l’Etat.
La lutte contre l’échec scolaire doit être menée conjointement par l’Etat et les regions. Elle est devenue un axe de la politique de la ville du Conseil Regional Rhone Alpes. Il faudrait aussi que les Regions, en partenariat avec l’Education Nationale, décident commme en Ile de France de la realisation d’un "lycee de la nouvelle chance" pour les jeunes decrocheurs dans chaque departement.
.4ieme axe : renforcer la citoyenneté, notamment en s’appuyant sur les réseaux de solidarite.
Il y a dans les quartiers des liens de solidarité (entre jeunes, entre com munautes, entre parents, entre femmes, entre voisins...) et des lieux de solidarité (centres sociaux, MJC...). Il faut renforcer ces liens et inviter les acteurs à prendre part à la vie publique, aux conseils de quartiers, aux conseils de développement.
Il s’agit de favoriser, sans les opposer, le passage d’une integration communautaire à une participation citoyenne. Certains Conseil Regionaux, certaines communes, soutiennent des initiatives citoyennes dans le cadre de la politique de la ville. Mais ces démarches restent rares.
Au plan legislatif, il faut donner le droit de vote aux résidents etrangers, dans le cadre plus vaste d’une reforme institutionnelle. Notre systême politique, en effet, est inapte à représenter toutes les composantes de la societe francaise. Ce faisant, il est inapte à poser les problèmes de societe, donc à les résoudre.
5ieme et dernier axe : Evoluer d’une societé productiviste vers une société encourageant d’autres valeurs conviviales et humanistes.
Les jeunes des cites veulent, tout comme les autres, consommer davantage , et atteindre le niveau de vie des catégories superieures.
Notre societe fonctionne à l’exclusion, à la competition, et valorise l’argent. Mais, c’est l’illusion fondamentale de l’ultra-liberalisme, que de croire que les relations humaines ne peuvent être fondées que sur des rapports de concurrence.
Il nous faut reconnaitre et promouvoir des modes de vie qui bénéficient a tous, en privilegiant notamment à la fois l’épanouissement personnel, le bien vivre ensemble et l’engagement collectif.
Il ne faudrait pas penser a priori que les jeunes, meme ceux des quartiers difficiles, ne peuvent pas être interesses par le sens, par des valeurs superieures. Il faut les mobiliser sur des actions enrichissantes.
La citoyennete et la solidarite avec le monde, la planète, en font partie.
*Marie Odile NOVELLI
Vice Presidente du Conseil Regional Rhone Alpes, chargee de la politique de la Ville, du logement-foncier, et des solidarites. Membre des Verts.
Formatrice en politiques sociales
** voir "le proces de la justice" - PLON 03- de J F Bourgelin et P.Lombard