Discours de Ph. Merieux assises europe ecolo/Verts
Discours de Philippe Meirieu
Assises constituante – Europe-Ecologie / Les Verts-
13 novembre 2010
Discours de Philippe Meirieu
Assises constituante – Europe-Ecologie / Les Verts
13 novembre 2010
Bienvenue...
Chères amies, chers amis...
Il me revient le redoutable honneur de vous dire quelques mots de bienvenue. Bienvenue donc à tous. Bienvenue à chacune et à chacun. Bienvenue dans ces Assises constituantes qui représentent un moment si essentiel pour nous...
Et, parce que la « bienvenue » ne se limite pas à cette après-midi, permettez moi de la décliner en quatre volets et de consacrer quelques instants à chacun d’eux : bienvenue à Lyon et en Rhône-Alpes... Bienvenue dans un nouveau mouvement... Bienvenue dans un paysage transformé de la vie politique française... Bienvenue dans le nouveau monde de l’écologie politique...
Bienvenue, d’abord, en Rhône-Alpes et à Lyon...
Je n’irai pas jusqu’à dire que Rhône-Alpes est le berceau de l’écologie politique... Mais nous ne pouvons pas oublier que c’est à Creys-Malville que certains d’entre nous ont fait leurs premiers pas de militants écologistes... C’est peut-être même à Creys-Malville que, face à la violence d’un gouvernement qui se prenait déjà pour l’Etat, est apparu, pour beaucoup d’entre nous, l’impératif, à côté du mouvement associatif, d’une structuration politique des écologistes...
Mais, bien sûr, Rhône-Alpes avait, auparavant, participé au combat écologique impulsé par René Dumont : dès les années 70, Philippe Lebreton s’était illustré dans la défense des zones humides et de la bio-diversité dans les marais des Dombes. En Ardèche, dans la Drôme ou dans l’Isère, des paysans avaient déjà commencé à s’engager dans la recherche d’une agriculture plus respectueuse de la nature et ce n’est pas un hasard si la bio-vallée de Die apparaît aujourd’hui comme un des exemples les plus importants d’une approche écologique territoriale globale.
Mais, plus en amont encore, Rhône-Alpes s’était illustrée par son engagement dans le mouvement coopératif : c’est à Lyon qu’on trouve les premières sociétés de secours mutuel fondées par les Canuts en 1825 ; c’est à Saint-Etienne que les « ingénieurs sociaux » s’émancipent du conservatisme de Frédéric Le Play pour militer aux côtés des mineurs avant que, dans la même ville, Simone Weil inaugure le premières universités populaires ; c’est à Valence qu’émerge l’une des expériences coopératives les plus radicales avec Boimondau. C’est en Rhône-Alpes aussi qu’est né « Economie et Humanisme », que se sont développées le plus vigoureusement les expériences d’habitat coopératif et qu’existe l’expérience la plus poussée de monnaie solidaire, SOL à Grenoble.
Ainsi Rhône-Alpes se trouve-t-elle à la convergence des deux grandes traditions qui ont donné naissance à l’écologie politique : la tradition environnementale et la tradition coopérative. Or c’est parce qu’elle se saisit en même temps de ces deux héritages que l’écologie politique est une voie d’avenir. Et l’important, ici est, bien sûr, le « en même temps ». L’environnementalisme, quand il ne remet pas en cause les modes de production qui ont abouti au pillage de la planète n’est rien d’autre qu’un « supplément d’âme » sympathique. De même le solidarisme, quand il ignore que si chacun vivait comme un Français il faudrait deux planètes supplémentaires, n’est rien d’autre qu’un discours incantatoire tout aussi sympathique, mais voué à l’échec.
Alors, à ceux qui nous accusent de nous être « gauchisé » parce que nous affirmons que le néo-libéralisme productiviste est incompatible avec la défense de l’environnement... comme à ceux qui nous suspectent d’être complices de la droite quand nous disons que toute activité économique n’est pas forcément bonne à prendre si elle compromet l’avenir de la planète, nous disons : « Bienvenue à Lyon et en Rhône-Alpes ». Une terre où l’on conjugue la défense de l’environnement avec la solidarité entre les êtres, les régions et les peuples. Une région où l’on n’entend céder en rien ni sur l’une, ni sur l’autre.
Bienvenue dans un nouveau mouvement politique...
Il était temps de renouveler la vie politique française. On ne peut pas passer son temps à se désoler du fait que les Français se détournent des urnes et continuer à faire fonctionner les grandes organisations politiques comme des machines à fabriquer des carrières et à organiser la lutte des places !
Contrairement aux caricatures que l’on en a parfois faites, le parti des Verts a ouvert la voie dans ce domaine. Quand d’autres en restaient officiellement ou officieusement au « centralisme démocratique », il a posé le principe de subsidiarité. Quand beaucoup regardaient la décentralisation comme un gadget, il a affirmé le rôle prééminent des régions. Mais – et chacun en convient – il restait un pas à franchir, une « métamorphose » à faire, comme dit Cécile, pour correspondre aux exigences d’une véritable « politique autrement ». Les statuts qui ont été adoptés par les adhérents au processus, puis par les militants Verts, ne sont sans doute pas parfaits, mais ils posent les bases d’un fonctionnement politique nouveau, adapté aux défis d’aujourd’hui. Ils vont être complétés par un règlement intérieur élaboré de la manière la plus concertée possible, mais, d’ores et déjà, ils nous permettent d’avancer. Et je suis convaincu que, très vite, nous réussirons, selon le vœu de Dany, à « incarner l’écologie politique dans un corps nouveau ».
Bienvenue, donc, dans un mouvement qui rassemble des militants historiques et des nouveaux venus à la politique. Bienvenue dans une organisation qui permettra le dialogue citoyen, éminemment nécessaire, entre les militants-experts et les experts-militants. Bienvenue dans une aventure qui va impliquer des associations, des groupes et des organisations avec qui nous construirons de véritables alternatives, à la fois utopiques et réalistes, pour changer le monde. Bienvenue dans un mouvement qui devrait permettre que les ambitions personnelles, aussi légitimes soient-elles, ne masquent pas les problèmes de fond. Bienvenue dans un mouvement qui respecte le type d’engagement que chaque citoyen veut et peut avoir avec la politique. Bienvenue dans une organisation qui dit « Bienvenue » à tous ceux et à toutes celles qui veulent coopérer, mutualiser, agir ensemble, dans chaque quartier, dans chaque village, pour que les groupes locaux deviennent de véritables « groupes-ressources » où les adhérents et les coopérateurs travaillent ensemble à la mise en place d’une myriade de « maisons de la citoyenneté et de l’écologie ». Des maisons où chacune et chacun sera bienvenu ! Des maisons où nous débattrons passionnément de notre horizon commun et où nous construirons minutieusement les moyens de franchir chacune des échéances qui s’offrent à nous.
Bienvenue dans un paysage politique français renouvelé...
La France, nous le savons, traverse une crise sociale d’une extrême gravité. Certains – beaucoup, en réalité – y voient la « simple » conséquence d’une crise d’un système qu’il suffirait de remettre correctement sur ses rails pour que tout aille bien à nouveau. Nous savons qu’il n’en est rien. Que cette crise est la conséquence inévitable d’un système de production, d’échange et de répartition des richesses qui fonctionne à l’inégalité comme la machine à vapeur fonctionne à la différence de potentiel. Les injustices ne sont pas des scories de notre organisation sociale, elles en sont, tout à la fois, le moteur, le combustible et le déchet.
Or, que voyons-nous aujourd’hui ? Un gouvernement qui prétend tenter de réguler le pouvoir de l’argent mais qui, en réalité, mène une politique qui lui est inféodée. Pourtant, la grande majorité de Français refuse de laisser sacrifier, sur l’autel des produits financiers, les constructions collectives fragiles que sont devenues nos système d’éducation, de santé, de retraite... mais aussi la justice, la police, les régies d’eau ou le logement social. Ils rejettent le libéralisme brutal d’un gouvernement autocratique, drapé dans l’arrogance insupportable des riches... Et que leur propose-t-on en face ? De substituer au libéralisme hard, un libéralisme soft, lisse et convenable, géré par des hommes et des femmes politiques « qui ont fait leurs preuves ». Or, nous ne croyons pas que la social-démocratie ait fait la preuve de sa capacité à reconstruire le politique autour du « bien commun ». Nous l’avons vue à l’œuvre, déplacer légèrement le curseur, au gré des circonstances, en introduisant un peu plus de contrôle technocratique de l’État ou un peu plus de marché et de concurrence. Ce n’est pas ainsi que l’on arrêtera dans sa course la machine à vapeur qui, prise de folie, nous entraine vers l’abime.
En revanche, c’est bien en introduisant systématiquement la question du « bien commun » à tous les échelons de la décision publique que nous pourrons, enfin, nous recentrer sur l’essentiel. Les écologistes ont fait de cette question du « bien commun » leur pierre de touche. Partout, où qu’ils soient, avec l’obstination d’empêcheurs de consommer et de piller en rond, ils demandent : « Que faisons-nous du bien commun quand nous faisons ceci ou cela ? Quand nous décidons de faire une route ou de construire un supermarché ? Quand nous investissons dans le nucléaire ou que nous sacrifions le budget de la formation ? Quand nous préférons encourager la spéculation foncière plutôt que l’agriculture de proximité ? »
C’est pourquoi je suis tellement heureux de pouvoir vous dire aujourd’hui : bienvenue dans un paysage politique renouvelé où une grande formation écologiste va pouvoir, dans tous les domaines – que ce soit l’environnement ou la santé, l’éducation ou les finances, les transports ou la culture – poser la question du « bien commun », du bien commun pour aujourd’hui, du bien commun pour notre avenir. Bienvenue dans une France politique radicalement nouvelle où le partage du territoire politique n’est plus régi à l’ancienneté, par ceux qui sont le mieux installés dans les structures et les institutions, mais par ceux qui font de l’avenir leur ligne de mire et n’en démordent pas !
Bienvenue dans le nouveau monde de l’écologie politique...
À ce moment de ces mots de bienvenue, j’aurais vraiment aimé vous lancer : « Bienvenue dans un monde écologiquement responsable ! Bienvenu dans un monde où la lutte contre le dérèglement climatique est devenu une priorité collectivement assumée ! Bienvenue dans un monde où le G20 vient de décider de mettre un terme collectivement aux crédits imbéciles et à la spéculation financière ! Bienvenue dans un monde où les pays du Nord viennent de décider de débloquer ensemble les 16 milliards de dollars nécessaires à la scolarisation primaire universelle pour qu’il n’y ait plus 69 millions d’enfants privés du droit à l’éducation ! Bienvenue dans un monde qui a découvert que ses richesses matérielles étaient limitées et qu’il devait parier sur le caractère illimité des richesses humaines ! Bienvenue dans un monde où les droits humains sont respectés, partout et jusque dans les moindres recoins de notre planète. Bienvenue dans un monde où l’on n’abime plus ni la nature ni les hommes ! ».
Mais nous n’en sommes pas là ! Pas tout de suite ! Il nous reste du travail. Entre nous. Avec nos concitoyens. Avec tous les citoyens du monde.
Entre nous, nous devons construire cette « culture de la confiance » sans laquelle rien ne peut aboutir. Nous devons apprendre à nous dégager des rapports de force pour inventer des solutions qui nous tirent ensemble vers le haut. Entre nous, nous devons travailler avec acharnement pour rendre nos propositions claires et crédibles...
Face à nos concitoyens, nous devons être irréprochables. Faire ce que nous disons et dire ce que nous faisons. Il n’y a pas d’arrangement possible avec la probité. Ou alors toujours au détriment de la démocratie.
Avec les citoyens du monde entier nous devons être solidaires. Solidaires quand nos amis écologistes de Colombie ou du Canada, du Brésil ou d’Australie s’imposent et deviennent des forces incontournables dans leurs pays. Mais solidaires aussi avec ceux et celles qui sont aujourd’hui les perdants de la démocratie et de l’écologie, en Afrique, comme en Chine ou en Russie : ils ont besoin de nous !
Alors, faute de pouvoir vous dire « Bienvenue dans un monde écologique », je vous dis simplement – mais c’est déjà beaucoup : « Bienvenu dans le monde de l’écologie politique que nous construisons ensemble aujourd’hui. »