MINATEC, NANOSCIENCES, MEGARISQUES...

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

Information du 5 Juin 06 :
Pourquoi nous avons voté contre le "fabuleux" projet MIcro-NAno(bio)TEChnologies "MINATEC" de Grenoble

Lundi 5 Juin 06

(voir aussi l’article du 7 Mars 06)

Pourquoi nous avons voté contre le "fabuleux" projet MIcro-NAno(bio)TEChnologies "MINATEC" de Grenoble ( Isère)

(voir aussi, pour info actualisée :rapports sur les nanotechnologies)

MINATEC, pôle européen exceptionnel de recherche en micro et nanotechnologies, a été inauguré ces jours-ci dans l’euphorie, à l’exception d’un groupe actif d’ opposants radicaux aux "necrotechnologies" (OGN), et des Verts, notamment le groupe d’élus Verts de la Région Rhône-Alpes et de l’agglomeration grenobloise, non opposés à la recherche fondamentale sur les nanos mais ayant voté contre le projet en l’ état... Pourtant, le projet MINATEC pose bien des questions de société, inédites, fascinantes, et parfois redoutables...

Piloté par le Centre du Commissariat de l’Energie Atomique de Grenoble : le C.E.A. -LETI (laboratoire d’électronique et de technologie de l’information), ce projet de 200 M.E, a visée fortement commerciale, est financé essentiellement par les collectivités territoriales (1).
Entreprise associant chercheurs et industriels, MINATEC regroupe l’ensemble de la "filière", de la recherche fondamentale et appliquée jusqu’à la production.

Mais que sait-on dans le public des applications des nanotechnologies ? Pas grand chose. (2)
Ce sont les microtechnologies, "rassurantes" car nous les utilisons déjà dans nos portables, qui sont le plus souvent mises en avant par les promoteurs du projet.
Quant aux nano(bio)technologies, elles sont méconnues, tant dans leurs caractéristiques que dans leurs effets. Seules sont mises en valeurs les applications techniques révolutionnaires (bien réelles) sous forme d’avantage pour le consommateur. Les aspects négatifs, ou les risques, pour le moment sont à peu près occultés en France. Voilà pourquoi je mettrais d’abord l’accent sur les risques (méconnus) liés aux nanotechnologies.
Ces nanoparticules d’un millionième de millimètre concernent aussi bien la chimie, la biologie, la physique que l’électronique. Elles sont au service de projets industriels et commerciaux, aux conséquences "inouïes", que l’ensemble des citoyens, et des élus, ne mesure pas.

Ce projet de nano(bio)technologies, destiné à un vaste avenir, ne doit pas rester l’ affaire d’une "nanocaste" de spécialistes. L’enjeu pour la société est multiple et sans précédent.
Il dépasse de loin la question des "bonnes" applications (par exemple les applications médicales, tant vantées) et des "mauvaises" applications, par exemple militaires : le "lego des nanos", en effet, brouille les distinctions entre vivant/inerte, animal/végétal, et bouleverse nos repères. Cette révolution déjà entamée avec les OGM (gènes d’animaux "bombardés" sur des plantes) se renforcera avec les puces introduites dans le corps humain... On sait désormais fabriquer des puces électroniques capables de s’insérer dans une cellule vivante.
Comme le dit Eric Drexler (USA) à l’origine du projet des nanos technologies : " nous pourrons tout demander à des nanopuces, nanorobots, nano-assembleurs ou nanomachines mus par des nanomoteurs que nous aurons conçus. " Créer des objets autonettoyants, dépolluer l’atmosphère par des bactéries carbonifages, mais aussi faire élaborer de la cuisine à domicile et éradiquer la maladie qu’est la vieillesse.
C’est le rêve du vivant mécanisé (ou plutôt : informatisé) devenu réalité, qui s’autoconstruit.
Nous n’en sommes pas encore là, et certaines propositions pourraient faire sourire.
Maheureusement, dans le monde, un certain nombre de chercheurs admirent E. Drexler.

Les risques environnementaux des nanotechnologies commencent à émerger mais ne sont pas relayés auprès du public. Concernant les risques de toxicité, en janvier 2004, deux études effectuées par la NASA ont montre la toxicité des fibres de nanotubes de carbone sur les poumons des rats, qui ont développé des réactions inflammatoires susceptibles de dégénérer en tumeurs. Or, ces nanotubes de carbones (molécules dérivées du carbone de 60 atomes ) sont
déjà utilisées dans l’informatique, les pneus, les crèmes solaires. De même, l’université de Dallas a mis en évidence un effet toxique des fullerènes - nanomatériaux qui pourraient servir comme transporteur cible de médicament - sur des daphnies, des petits crustacés, dont le tissu cérébral a été endommagé. Gunter Ubersdorter (professeur de médecine environnementale à l’université de Rochester de New York , a montré par ailleurs que les nanos pouvaient même franchir la barrière hématoencéphalique protégeant le cerveau de rats...
C’est vrai également des nanobiotechnologies particulières que sont les OGM, pour lesquelles on commence à avoir des études inquiétantes, qui concernent les modifications des êtres vivant alimentés d’OGM. Mais celle-ci se heurtent à l’étouffoir des intérêts économiques (3) ...

Le site futura sciences, dont l’objectif est de "Promouvoir les sciences et les technologies" , de favoriser l’exposition par les scientifiques de leurs travaux et de "Favoriser une maîtrise citoyenne des enjeux posés à la société " a l’intelligence de proposer en transparence deux études d’impact canadiennes sur les risques pour la santé des travailleurs exposés aux nanos. La démarche est plus intéressante que celle des pilotes grenoblois actuels. voir (futuracom) .

Au-delà des choix scientifiques et techniques, se posent des questions éthiques et anthropologiques : la miniaturisation des puces et systèmes communicants par ondes radio est peut-être utile dans le domaine médical, mais elle peut aussi être exercée à des fins liberticides (elle permet aussi de repérer un être humain). Ce qui existe déjà pour "pister" les animaux grâce à de mini mouchards électroniques (RFID = identification électronique) sera en partie utilisé pour l’homme demain : la carte d’identité électronique, prévue pour début 2006, est reportée en 2008 (voir article de St. Foucard dans le Monde du 28/12/05 "la biométrie à la Française"), mais le concept n’a pas changé : il s’agit d’une carte électronique (INES) avec des données biométriques dans une puce RFID.
Comme l’écrit PMO dans une version assez crédible de politique fiction : Nous sommes en 2008 (ou 2010, enfin peu importe). Manifestation d’étudiants à la gare de Grenoble . "Présence des individus X... Y et Z. Attention ! Détection de l’individu G (carte d’indentité numéro....) fiché pour participation au fauchage d’un champ OGM dans la Drome"... Ah ! Mais c’est comme si on y était...
(PMO)

Enfin, le débat strictement politique, concernant le choix d’affectation prioritaire de l’argent public n’a pas lieu. Gauche et droite sont unanimes pour investir massivement l’argent public dans ces techno-sciences, dans une fuite en avant que les Verts dans les institutions, sont les seuls à contester. Or, pendant que l’on imagine des solutions techniques très onéreuses, pour améliorer la santé, qui ne bénéficieront qu’aux plus aisés, les inégalités s’accroissent en France et dans le monde avec tout juste quelques soupirs de regrets, et aucun questionnement sur le fond : est-ce le progrès global de la médecine qui a éradiqué la tuberculose, ou bien l’amélioration de la qualité de vie, l’hygiène et la nutrition ? Est-ce le progrès des nanotechnologies qui va améliorer la santé, et la lutte contre les pollutions, ou bien l’amélioration de la qualité de l’air, de l’eau, des sols ? On redécouvre après 50 ans d’euphorie chimique que rien ne vaut l’agriculture biologique, pour la qualité alimentaire. "Tout ça pour ça ?"A-t- on envie de dire. Faut-il payer au prix fort, avec des solutions éventuellement aggravantes, le coût de notre arrosage chimique des sols, de l’invasion de l’air par les "nanoparticules" des diesels de nos voitures (oui, les nanos existent déjà !) ? Faut-il vraiment aller encore plus loin dans notre fuite en avant ? N’est-on pas en train de se fourvoyer très gravement ?

La société dans son ensemble n’ a pas été conviée à réfléchir a cette mutation fondamentale que représente la convergence des nanotechnosciences.(4) Le devoir des politiques, et des Verts, est de poser la question. Mais l’on voit combien c’est difficile. La plupart des politiques, y compris au P.S., baignent dans un scientisme béat. Seuls sont relayés les fabuleux progrès attendus des nanotechnologies. Comme si l’expérience historique était inutile, qu’il n’y avait pas eu l’amiante (90 ans pour reconnaître les risques industriels), ni Tchernobyl : les victimes Corses de la thyroïde, aussi touchés que ceux de l’ Ukraine qui vivent à 100 KM de la centrale, (5) se battent encore pour faire reconnaître leur préjudice.

Voilà les raisons pour lesquelles, au fur et à mesure de l’évolution de nos connaissances sur le sujet, en tant que Conseillers régionaux Verts, élus depuis 2004, nous avons voté contre les rapport octroyant des subventions au projet MINATEC.(1)

Nous demandons dans l’immediat
- la mise en place d’un comité d’éthique démocratique réellement indépendant (6), doté de moyens d’interpeller et d’informer les citoyens.
- Plus profondément, puisque les nanotechnologies existent déjà dans le monde, il est de notre devoir de pouvoir suivre et orienter leur évolution. Nous devons (tous) exiger un comité de suivi interdisciplinaire capable d’anticiper les mutations à venir.

- De larges débats doivent être menés à tous les niveaux (local, régional, national, européen).
- Les citoyens doivent s’organiser pour exiger un moratoire (qui ne peut être que mondial) sur les applications des nano(bio)technologies et l’application du principe

Ces questions sont trop sérieuses pour être laissées aux seuls chercheurs et aux seuls industriels marchands.

Marie-Odile NOVELLI,
Vice présidente du Conseil Régional Rhône-Alpes,
Conseillère régionale de l’ Isère, Groupe Les Verts.

FICHE TECHNIQUE ET NOTES

(1) FINANCEMENT DE MINATEC

Coût : 193 Millions d’euros
Conseil Général de l’Isère : 42,85 millions d’euros
Conseil Régional : 25,5 ME
Ville de Grenoble : 12, 6 ME
Métro (agglo) :12,6 ME
Etat : 13 ,4 ME
Privé : 47,30 ME
CEA : 39,17 ME

Financements du Conseil Régional depuis Mars 2004 :

-2,6 millions d’euros en CP (commission permanente) le 18 mai 05 .
Vote "contre des Verts".
- Plus 2 millions rajoutés dans le cadre du PERIC en Assemblée plénière de Mai 06 (PERIC : Partenariat Economie, Recherche, Innovation et Compétitivité).

Vote "contre" des Verts.

(2) Les Nanosciences et nanotechnologies

Les Nanosciences et nanotechnologies sont des développements issus des recherches menées à l’échelle atomique et moléculaire (le milliardième de mètre) en physique, chimie et biologie. Depuis quelques années, on souhaite croiser ces recherches avec la micro-électronique, la biologie et les techniques de l’information, d’où le concept de nanobiotechnologies.
Leurs applications dans notre quotidien seront multiples : énergie, matériaux, électronique, santé, cosmétiques, médicaments, automobile, bâtiment, communication, armement, conquête spatiale.

(3) OGM : notamment études conduites par Manuela Malatesta, université d’Urbino, Italie, qui montre des modifications des cellules du foie après ingestion de soja OGM. Ces études ont été contre-attaquées ensuite par des études superficielles (voire "truquées") menées par Monsanto. Les crédits de l’ Etat Berlusconi avaient été entre-temps supprimés pour la suite de cette étude, en raison de "l’innocuité" des OGM !...).

"Afin de mettre en évidence quels étaient les effets sur la santé, l’Institut de recherche Robert-Sauve en santé et en sécurité du travail (IRSST), a publié récemment deux études à ce sujet.
Un premier rapport, intitulé "Les effets à la santé reliés aux nanoparticules", démontre qu’il existe un nombre limité d’études toxicologiques, mais que toutes concluent qu’une exposition aux nanoparticules représente certains risques pour la santé. Bien que plusieurs dangers soient associés à la nature de la nanoparticule, il est maintenant clairement établi que la toxicité est reliée à la surface de ces particules et non à leur masse et que, pour une même substance, la toxicité est beaucoup plus élevée lorsque celle-ci est de dimension manométrique que lorsqu’elle est de dimension micrométrique. Puisqu’elles sont très petites, ces substances pourraient avoir des effets toxiques importants sur la santé des travailleurs.

(4)il s’agit de la convergence des sciences de l’information, de la biologie (génétique et médecine), des nano-technologies et des sciences cognitives (NBIC) : concevoir l’assemblage du mécano-atomique, le construire (nanotech), l’implanter (biotech) et le contrôler avec les technologies de l’information.
voir notamment, de Jean Pierre Dupuy, membre du Comité d’Ethique et de Précaution de l’INRA, Directeur de recherches au CNRS, qui a beaucoup ecrit sur les nanotechnologies : "Quand les technologies convergeront" :
(détail aussi sur ce site)
Extrait : "Comment expliquer que la technoscience soit devenue une activité si " risquée " que, selon certains scientifiques de premier plan, elle constitue aujourd’hui la principale menace à la survie de l’humanité ? Les philosophes répondent a cette question en disant que le rêve de Descartes "se rendre maître et possesseur de la nature" a mal tourné. Il serait urgent d’en revenir à la "maîtrise de la maîtrise". Ils n’ont rien compris. Ils ne voient pas que la technoscience qui se profile a l’horizon, par "convergence" de toutes les disciplines, vise précisément à la non-maîtrise. L’ingénieur de demain ne sera pas un apprenti sorcier par négligence ou incompétence, mais par finalité.
(...) Que faire ? Il serait naïf de croire que l’on pourrait envisager un moratoire, ou même, à court terme, un encadrement législatif ou réglementaire, lequel, en tout état de cause, ne pourrait être que mondial. Les forces et les dynamiques à l’oeuvre n’en feraient qu’une bouchée. Le mieux que l’on puisse espérer est d’accompagner, à la même vitesse que leur développement et, si possible, en l’anticipant, la marche en avant des nanotechnologies, par des études d’impact et un suivi permanent, non moins interdisciplinaires que les nanosciences elles-mêmes.

Lire notamment, pour plus d’info, la partie 4 du large extrait de "quand les technologies convergeront" rubrique environnement de ce site " Risques et nanobiotechnologies".
cliquez ici

(5) Pour plus d’ Infos : Voir H. Blanchard (VP) ou Les Verts pour le film en court de diffusion en Rhône-Alpes

(6) Les experts scientifiques sont à la fois juges et partie. De plus, ils sont souvent liés à des intérêts économiques (voire militaires). Lorsque les scientifiques disent appliquer le principe de précaution, ils se contentent en pratique d’avoir des procédures d’évaluation des risques (puisque "le risque zéro n’existe pas").
Plus profondément, il me semble que le risque lié aux nanotechnologies est trop global, social ou societal, éthique, environnemental, biologique, bref, inimaginable, et qu’il dépasse la sphère d’intelligibilité d’un spécialiste scientifique, comme celle de chacun d’entre nous, pris isolément.
MO. NOVELLI.
5/06/06
_________________________________________________

PROPOSITIONS COMPLEMENTAIRES DE OLIVIER BERTRAND, CONSEILLER GENERAL VERT DE GRENOBLE (CANTON 1).

"Pour compléter les propos de Marie-Odile, voici les axes que je soumets à la discussion, en m’appuyant sur les travaux de Michel SOMMERVILLE :

1. Un moratoire

Les connaissances et les données relatives à la caractérisation, la détection, la quantification, la persistance des nanoparticules dans le corps humain et l’environnement sont insuffisantes. De même, les aspects toxicologiques et environnementaux de ces nanoparticules sont insuffisants pour espérer disposer d’une bonne connaissance des risques que peuvent engendrer ces particules chez l’homme et dans les écosystèmes. Il faut donc adopter dès maintenant un moratoire sur les nanotechnologies et ses produits tant que des outils de détection, de traçabilité, de contrôle et de régulation n’aurons pas vu le jour afin de protéger les travailleurs et les consommateurs. Les produits constitués de nanoparticules doivent être retirés du marché.

2. Un protocole global de sécurité des nanotechnologies et des nanoproduits

A l’image d’autres conventions internationales, un protocole sur les nanotechnologies doit être adopté dont l’axe principal serait l’application du principe de précaution à la recherche, la production, le transfert, l’utilisation et le développement des nanoparticules, des nanomatériaux, des nanomachines et des nano-biotechnologies.

3. Une convention internationale pour l’évaluation des technologies émergentes

l’Organisation des Nations Unies devrait être autorisée à évaluer les technologies émergentes au niveau social, au niveau des impacts sur la démocratie, la santé, la culture et l’environnement.

4. Traçabilité

Etant donné que des nanoparticules sont employées sans information réelle du consommateur, ceux-ci devraient pouvoir les éviter à l’avenir. La traçabilité et l’étiquetage des produits est indispensable. De même, fort de l’expérience des OGM, les producteurs de nanoparticules doivent rendre disponibles les moyens d’identifier et de dépister leurs produits afin, éventuellement, de les soustraire du marché.

5. Responsabilité

La question de la responsabilité civile doit être abordée et résolue car nos sociétés ont tiré les leçons d’atteintes à la santé animale, humaine ou environnementale occasionnées par des produits ou des pratiques trop peu maîtrisés. Une réglementation stricte doit être établie maintenant.

6. Pas de nano-brevet

La possibilité d’octroyer des brevets sur des nanoprocédés et des nanoproduits signifie, à terme, la privatisation d’éléments atomiques et moléculaires qui constituent l’univers et sont le fruit de millions d’années d’évolution. Des règles claires doivent établir ce qui relève de la créativité brevetable et ce qui relève de la simple découverte non brevetable.

7. Pas d’armes nanotech

Dans notre monde actuel, il parait peu éthique d’encourager la production d’armes biotechnologiques ou à base de nanotechnologies.

8. Les critères acceptables

La question de l’utilisation des nanotechnologies socialement et écologiquement acceptables doit être posée.

O. BERTRAND