Aussi surprenant que cela puisse paraitre, des taxes carbone efficaces et approuvées par la population, c’est possible ! Une fiscalité carbone " juste" aussi...

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

I.Comme l’évoque le site Ecolo ! ( http://www.leslilasecologie.fr/), plusieurs pays ont mis en œuvre avec succès une fiscalité environnementale, en faisant la transparence sur l’utilisation des recettes.

« Le ministre des finances de la Colombie-Britannique a conditionné 15 % de son salaire au fait que tout l’argent issu de la taxe carbone serait reversé aux habitants, soit sous forme de baisse d’autres taxes, soit sous forme d’aides à la transition écologique. » L’anecdote, relatée par Benoît Leguet, directeur de l’institut I4CE (Institute for Climate Economics), souligne la nécessaire transparence dans l’affectation du produit de la fiscalité environnementale, afin qu’elle serve bien la transition annoncée. Contrairement à ce qui se passe en France.

La province de l’Ouest canadien fait figure de pionnière. Depuis 2008, elle applique une taxe carbone sur les énergies fossiles utilisées pour le chauffage, l’électricité et le transport. Lancée à 10 dollars canadiens la tonne, cette taxe couvrant 70 % du total des émissions de la province a été réévaluée de 5 dollars par an, jusqu’à atteindre 30 dollars (20 euros) la tonne en 2012.
« Or, que s’est-il passé entre 2008 et 2012 ? La consommation d’énergies fossiles a baissé de 17 % en Colombie-Britannique alors que, pendant la même période, le reste du Canada a vu ses émissions grimper de 1 % », témoigne Tzeporah Berman, professeure de sciences de l’environnement à l’université de York (Toronto). « Durant cette même période, l’économie de la Colombie-Britannique a connu une croissance de 16 % et affiché le taux de chômage le plus bas du pays », poursuit l’enseignante, également conseillère auprès du gouvernement de Victoria.

En 2014, changement de cap : la nouvelle administration décide de geler la taxe carbone pour cinq ans. « Les émissions ont commencé à augmenter de nouveau en Colombie-britannique », relate Tzeporah Berman, qui en déduit que « si l’on veut tirer vers le bas les émissions de gaz à effet de serre, il faut continuer à tirer vers le haut le montant de la taxe carbone ».

Communication maîtrisée

L’autre clé du succès réside dans l’usage fait de ces recettes fiscales. La taxe de la province canadienne répond à un principe de « neutralité de revenu », analyse l’universitaire, l’argent collecté ayant permis d’octroyer des baisses d’impôts aux citoyens les plus modestes. « Sur trois ans, 1,8 milliard de dollars canadiens [1,2 milliard d’euros] ont été ainsi redistribués aux plus défavorisés, cela a contribué à créer une forte adhésion autour de cette mesure », dont le produit sert également à investir dans la transition écologique – véhicules électriques, rénovation thermique, etc.
Cette redistribution, ajoutée à la communication maîtrisée des autorités – elles ont mis en avant l’importance de donner un prix à la pollution, mais aussi d’accorder un coup de pouce au pouvoir d’achat – se traduit, en Colombie-Britannique, par un plébiscite qui semble hors d’atteinte en France. « Les sondages indiquent que 70 % des personnes interrogées en Colombie-Britannique aiment notre taxe », relève Mme Berman.
L’initiative a convaincu le gouvernement fédéral canadien, qui a décidé de l’étendre à tout le pays. Depuis le 1er janvier, une taxe fédérale de 20 dollars par tonne de CO2 touche les carburants et les produits pétroliers. Elle devrait atteindre progressivement 50 dollars la tonne en 2022. Dorénavant, « on ne pourra plus polluer gratuitement au Canada », a prévenu, fin 2018, le premier ministre, Justin Trudeau.

Au niveau international, les politiques de taxation du carbone s’accélèrent. En avril 2018, « 46 pays et 26 provinces, représentant 60 % du PIB mondial, avaient mis en œuvre un instrument de tarification explicite du carbone », souligne l’institut I4CE, dans une note publiée en octobre 2018. Ces instruments de tarification, taxe carbone ou système d’échange de quotas d’émissions, ont généré 32 milliards de dollars américains (soit 28 milliards d’euros) en 2017, contre 22 milliards un an plus tôt.

Affectations variables

« Cette hausse pose la question de l’usage des revenus, qui ne doivent plus être considérés comme le co-bénéfice anecdotique d’un instrument purement comportemental », explique l’institut. De fait, l’affectation du produit de ces taxes reste variable selon les pays. En Irlande, la taxe, mise en place en 2010 alors que le pays se trouvait en pleine crise économique, sert essentiellement à augmenter les revenus de l’Etat. En Suède, cette fiscalité carbone, introduite en 1991, a permis de diminuer les impôts sur le revenu et les taxes sur le travail. Elle a aussi contribué à faire chuter les émissions de CO2 de près de 25 % en vingt-cinq ans. En Suisse, les revenus de la taxe carbone, instaurée en 2008, ont servi à réduire les primes d’assurance santé.
« La France n’est pas le seul pays à avoir des difficultés pour mettre en place cette fiscalité, rappelle Benoît Leguet. Mais elle doit régler le problème de la transparence : à quoi sert cette taxe ? Où en va le produit ? Cette question a toujours été sous-estimée. »

II. Une taxe carbone juste , c’est possible :

Une piste : la création d’une « carte carbone » qui repose sur un quota annuel de droits d’émissions de CO2 pour chaque habitant. Tribune d’Yves Cochet, président de l’institut Momentum, ancien ministre de l’Environnement, parue le 12 février 2019 dans Libération.
La carte carbone a été envisagée au Royaume-Uni sous les gouvernements de Tony Blair et Gordon Brown, justement après un épisode très intense de protestation sociale autour d’un projet de hausse de taxe sur les carburants. Après ces « fuel protests », le gouvernement cherchait à imaginer des formes de politiques énergétiques et climatiques qui ne reposent pas sur des taxes, définitivement trop impopulaires.

La carte carbone se déplie ainsi : chaque habitant de la France reçoit un quota annuel de droits d’émissions de CO2 qui encadre toute consommation d’énergie (pétrole, gaz, charbon, électricité…). Si, par exemple, vous voulez faire le plein dans une station-service, vous payez le carburant en euros et votre carte carbone à puce est également décrémentée des droits d’émissions correspondant à la quantité de carburant que vous avez achetée. Le budget carbone de la France –c’est-à-dire la quantité nationale d’émissions de CO2 – doit diminuer régulièrement jusqu’en 2050 pour atteindre alors -75% du volume de nos émissions de 1990 (objectif des COP et engagement de la France). En conséquence, les quotas individuels annuels, strictement égaux d’une personne à l’autre, diminuent en même proportion. Ainsi, contrairement à la taxe carbone dont l’effet climatique est incertain et le rejet social patent, la carte carbone permet à coup sûr de respecter l’objectif de diminution de nos émissions de CO2 et de fonder la solidarité entre nos concitoyens. « Cap and share », disent nos amis anglais, « plafonner et partager ».

Une justice sociale garantie

Certes, tout le monde n’a pas la même consommation d’énergie. Des bourses d’échanges, régionales ou nationale, seraient mises en place pour permettre aux plus gros consommateurs d’acheter des unités supplémentaires aux plus économes, si ces derniers en ont à revendre. La justice sociale est doublement garantie avec la carte carbone. D’abord, en situation de pénurie, chacun a sa part réservée d’énergie (le quota individuel de chacun) : c’est en effet en limitant la demande des plus gros consommateurs qu’on assure une consommation minimale pour tous. Deuxièmement, au vu de la corrélation très forte entre niveaux de revenu et niveaux de consommation d’énergie, la possibilité d’acheter et de vendre des quotas bénéficie aux plus pauvres. En effet, ces derniers sont à la fois ceux qui consacrent la plus grande proportion de leur revenu à l’achat d’énergie et ceux qui en consomment le moins en quantité, d’où l’injustice sociale flagrante des politiques de taxe sur les carburants. Conséquemment, une politique énergétique qui s’appuie plus sur les quantités (quotas de carbone) que sur les prix (taxe sur les carburants) est socialement plus juste, et même plus redistributive.

Conjointement, l’intégrité environnementale est, elle aussi, doublement renforcée par la carte carbone. D’abord par le respect de la limitation du volume d’émissions de CO2 à laquelle la France s’est engagée. L’ensemble des quotas individuels distribués correspond en effet au budget carbone global du pays, et il n’est pas prévu de mécanismes ou d’échappatoire permettant d’autoriser des émissions supplémentaires. Si des transactions peuvent exister d’un consommateur à l’autre, elles se font donc en jeu à somme nulle. La carte carbone permet également d’inscrire les consommations d’énergie fossile dans le temps du délai : un temps marqué par le compte à rebours. La crise écologique globale se caractérise en effet par le risque de franchir des seuils de basculement entraînant des ruptures systémiques irréversibles. Pour les éviter, il ne s’agit pas de faire mieux, mais de faire suffisamment et dans un certain délai. La carte carbone inclut cette dimension temporelle de la crise écologique en instituant dès le départ l’idée d’un budget carbone déclinant par paliers datés, avec une perspective de descente énergétique jusqu’en 2050 (au moins). De cette manière, la contrainte matérielle de la quantité d’énergies fossiles disponibles à la combustion est directement liée à la contrainte de la temporalité de leur usage, reflétant ainsi les limites environnementales matérielles et temporelles qui s’imposent aux sociétés.

Limites écologiques

Au-delà de son intérêt écologique et social, la carte carbone correspond à notre vision du monde : il existe des limites écologiques à ne pas dépasser sous peine de précipiter l’ensemble de l’humanité vers un effondrement mettant en cause l’existence même de l’espèce humaine. Avec la carte carbone – dont on peut étendre le principe à d’autres aménités environnementales – la politique suivie garantie le respect des limites. La nécessité de réduire fortement nos consommations d’énergie oblige à reconsidérer les politiques énergétiques sous un angle nouveau : étant donné l’état de dépendance énergétique dans lequel nous nous trouvons, peut-on encore envisager de laisser les lois du marché et l’addition des arbitrages individuels des consommateurs décider de l’allocation, de la distribution, du rythme et des quantités d’énergie que nous consommons ? La carte carbone permettrait une reprise en main collective et politique de la consommation d’énergies fossiles, reprise en main légitimée par les dégradations du système-Terre qui s’installent aujourd’hui comme des situations de longue durée. Il faut désormais envisager pour l’énergie ce que nous avons choisi à plusieurs moments de notre histoire pour faire face à des pénuries et la nécessité de garantir à tous un accès minimum à des ressources essentielles mais limitées : le rationnement.