Donner son avis sur les réformes pédagogiques

, par  Marie-Odile NOVELLI , popularité : 0%

Réformes pédagogiques : avis sur la réforme des collèges

Lundi 25 Mai 2015- Marie Odile NOVELLI , Formatrice et VP Conseil régional Rhône Alpes chargée de la politique de la Ville et du handicap

Quelle place pour le collège ?

Avant de répondre aux enjeux de court et moyen terme concernant la réforme pédagogique du Collège, il me semble important que nous nous interrogions sur la place que nous voulons lui voir jouer.

Il est en effet le creuset éducatif commun aux jeunes de notre pays, pivot essentiel de leur avenir et de l’avenir de la société. C’est dire combien cet échelon doit être l’objet d’attention, de revalorisation du métier, incluant formation des maîtres et des encadrants.
La réflexion doit à mon sens porter en particulier sur l’intégration et sur les inégalités ; et à cette fin notamment sur la place de la culture et de la laïcité ouverte dans la constitution d’une identité de valeurs (car ce sont les valeurs citoyennes partagées et à vocation universelle qui fondent l’identité française. D’où l’intérêt, par exemple, des travaux d’histoire, de littérature etc. comme outils de compréhension du monde comme de plaisir possible à partager).

Clarifier les ressorts d’une polémique inutile ?

- Concernant ce sujet, j’avoue ne pas bien comprendre ceux qui affichent une position polémique et définitive, manient l’anathème, méprisant ainsi un sujet éminemment sérieux qui devrait mobiliser intelligemment toute la société, car elle concerne son avenir.
Il me semble que la polémique prend d’autant plus de force que les affrontements portent sur des non dits, que nous aurions intérêt à clarifier.

Les termes du débat :

Deux débats occultés me semblent animer de façon souterraine la polémique sur la réforme du collège, que la société française s’honorerait de traiter sans violence et intelligemment :

  •  sur le plan social, à une vision élitiste de l’éducation au service d’une vision élitiste de la société, s’oppose une recherche d’égalité sociale, l’égalité des chances commençant dans l’enfance et à l’école ;
  •  sur le plan philosophique et pédagogique, un débat difficile avec une bonne part des enseignants se manifeste dans l’appréciation du rôle des erreurs et de la sanction. Ce débat renvoie à des objectifs finaux qu’il convient de clarifier : s’il s’agit que chaque jeune puisse progresser et donner le meilleur de lui- même, alors ce but implique de ne pas cautionner la sélection par l’échec, et de lui substituer définitivement l’encouragement à la réussite , ce qui n’a rien à voir avec le laxisme.
  • Le débat politique actuel reste à mon sens encore un peu trop flou. Certes, pour l’UMP, Bruno Lemaire affiche une vision assez clairement élitiste, cohérente avec le libéralisme économique et social qui met les êtres humains en concurrence y compris les plus jeunes (ce qui à mon sens reste contraire aux valeurs de la République) et , côté du PS, l’égalité semble assumée comme objectif politique. Mais jusqu’ici, la vision philosophique et pédagogique me semblait en retrait : V. Peillon avait mis l’accent sur les rythmes scolaires, sans placer préalablement les questions d’éducation de l’enfant et de pédagogie au centre de la réforme, alors que les rythmes n’étaient qu’un moyen.

Le problème est à la fois quantitatif (les moyens financiers du périscolaire par exemple ) mais surtout, qualitatif.Il renvoie pour moi au non dit de la question éducative en France : la réforme de l’école Francaise est indispensable, car l’échec -scolaire- est trop grand. Et il est trop grand notamment par ce que nous avons tous une attitude reproductrice de l’élitisme. Dans une société qui prône les valeurs d’égalité, ce sujet est tabou.
D’où cet embrasement systématique lorsque l’on aborde les questions scolaires.

Difficile évolution des pratiques pédagogiques :

quelques éléments pour la réflexion et l’action

Pourquoi la transformation des pratiques pédagogiques est elle si difficile ?
Parce qu’elle implique à mon sens une transformation culturelle :

 1. D’abord, ne pas avoir les réflexes de la sélectivité, encourager les plus faibles tout en encourageant les plus forts. C’est à dire, concrètement, à la fois ne pas sanctionner - au sens de punir- en raison de mauvais résultats, mais encourager cependant l’effort, car sans effort on ne fait rien, en un mot « tirer l’élève vers le haut » ; lui permettre d’accéder à d’autres joies , plus intellectuelles, et incluant le plaisir de progresser.
C’est cette dynamique qui importe. Elle n’est pas, culturellement, inée, tout comme n’est pas inée la pratique de la collaboration dans l’entreprise. Nous, français, ne sommes en réalité pas tant épris d’égalité que cela. Egalité, non pas en termes de compétences, non pas non plus en termes d’égalitarisme qui nierait l’individu et son originalité, mais en terme de d’égalité de la valeur humaine, en termes de droits à vivre, et de droit à progresser (pas de paresser).

Cela nous renvoie à deux difficultés majeures :

  •  d’une part, la nécessité de conceptualiser une définition de l’égalité qui tienne compte des différences individuelles et de la richesse des individus - qui implique, par exemple, une pédagogie différenciée que les GRETA ou structures AFPA savent parfois bien mettre en oeuvre dans le cadre de l’intégration des personnes handicapées (CF la démarche H+ initiée par la région rhône alpes),
  •  et d’autre part, modifier l’approche négative que nous avons des métiers techniques et manuels et des services à la personne. Tant que l’artisanat, le travail technique, les service à la personne resteront aussi peu valorisés au collège et dans la société, le collège restera la grande gare de triage qui sélectionne par l’échec et constitue un frein à la valorisation de l’instruction des citoyens quel que soit leur métier.

 2. Deuxième transformation culturelle indispensable : reconsidérer la question du travail et des revenus [enjeu dépassant largement le champ d’action des enseignants].

Tant que la société ne sera pas en capacité de donner un travail utile à chacun - ce qui implique notamment de réfléchir sans idéologie à la réduction du temps de travail, au rôle de l’emploi public, aux métiers de la 3eme révolution industrielle énergétique et numérique (…) - il n’y aura pas au collège de justification solide, concrète, à la pédagogie de l’effort, ou au moins du travail dans l’apprentissage.
Tant que la société n’aura pas inscrit comme projet essentiel de donner un travail, un revenu et un rôle suffisamment valorisant à chacun de ses membres, il n’y aura pas d’éducation nationale émancipatrice et créatrice de citoyenneté collective. Car il n’y a pas d’égalité d’avenir, et de reconnaissance sociale.

Cet objectif se heurte encore une fois au droit au travail et au droit à un revenu suffisant, à la juste redistribution fiscale, à la régulation du capitalisme.
Or, comme le note le rapport de l’ocde http://www.oecd.org/social/in-it-together-why-less-inequality-benefits-all-9789264235120-en.htm, les inégalités s’accroissent désormais structurellement, non seulement entre les plus riches et les plus pauvres, mais aussi du côté des classes moyennes qui décrochent, en raison notamment de la dégradation du contrat de travail ; ce qui pénalise durablement l’objectif d’intégration sociale, et la croissance, et l’économie toute entière.

En ne clarifiant pas ces enjeux, en maintenant l’illusion de l’égalité, nous laissons le champ libre à la progression du libéralisme économique dérégulé au profit de quelques uns, et nous demandons au collège de régler des problèmes auxquels ils ne peut pas faire face.

Avis sur les EPI, évolution des Classes Bilangues et Latin :

Face à ces enjeux, le problème est-il bien d’abord l’apparition des EPI et disparition des classes bilangues ? Non, me semble- t -il.
Les familles auront au moins appris qu’une minorité des élèves ont la chance d’aller dans des classes bilangues, et que le latin et le grec sont devenus objets de désir : tout cela est positif ! Mes ainées avaient obstinément refusé d’apprendre le latin et le grec, j’aurais été bien aise qu’ils bénéficient d’initiation à ces matières comme le prévoie la réforme. Rien n’interdit de travailler ces matières plus fortement ensuite au lycée ou en faculté ! Du reste, le ministère semble déjà avoir avoir acté des heures complémentaires en collège pour les élèves qui le souhaitent. Peut-être, cependant, la question des classe bilingues doit- elle être revue. Je n’ai pas d’expérience sur ce sujet.

EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires) :

La Françe a malheureusement abordé la question de l’interdisciplinarité de manière polémique et de mon point de vue assez sectaire.

J’ai enseigné dans le privé : nous mettions justement en place des équivalents des EPI, de manière à intéresser des jeunes alternants qui préparaient un bac pro et accordaient a priori peu de place à la littérature et à la connaissance du monde contemporain. Faire des liens, à plusieurs collègues, ne pas enseigner de manière trop sectorielle, avec pour objectif de donner du sens à l’enseignement, pour que ce dernier permette justement de mieux comprendre le monde contemporain. Et faire travailler le jeune en classe ; sur documents, avec un ordinateur, et des temps d’échange et de pratique orale.
Ce que les parents attendaient avant tout, c’est que l’on respecte le jeune, même s’il n’était pas brillant, pour lui permettre d’avancer et de construire sa vie, dans le respect d’autrui.
Brandir aujourd’hui l’épouvantail du privé si le public emprunte des éléments au privé me parait dès lors bien déraisonnable !
La vraie question est bien à mon sens celle de la formation des équipes pédagogiques et de l’expérimentation des établissements. Expérimenter avant d’imposer la généralisation et surtout, retrouver le plaisir d’expérimenter, y compris les EPI, grâce à des moyens d’encadrement pédagogique. L’évolution culturelle se produit toujours dans le temps long.

Ce temps est plus facile à accepter lorsque le cap est clair.

MO_N